Datang et les nouvelles logiques de l’industrialisation
Avec une production qui approche le tiers de la production mondiale de chaussette, la ville de Datang, située à environ 300 km au sud de Shanghai, dans la province de Zhejiang, est aujourd’hui un acteur incontournable de l’industrie textile mondiale, symbole de l’industrialisation chinoise depuis les années 1980. Datang est-elle une image du nouveau monde qui se construit ou un pâle reflet de celui qui a existé dans les sweat-shop du Lancashire ?
Le modèle de Datang s’est largement inspiré de la stratégie du « vol des oies sauvages », théorisée par Kaname Akamatsu en 1937, en ce qu’elle suit une voie d’industrialisation qui a fait ses preuves dans le Japon d’après-guerre : un investissement dans des produits et des technologies à basse valeur ajoutée, à fort intrants de travail avant inondation du marché mondial. Elle valorise une aménité fondée sur le dumping social et largement inspirée de la théorie des avantages comparatifs de Ricardo, propre au territoire chinois : un faible coût de la main d’œuvre qui compense la faible technologie inhérente au produit. Comme le souligne Erik Orsenna, citant Dickens, la ville est noircie par le charbon et les ouvriers, payés 100€ par mois en travaillant 7 jours sur 7, sont blanchis et logés dans les dortoirs patronaux. Datang illustre ainsi le retard social de certaines régions de Chine dont la croissance économique continuelle ne s’accompagne pas d’un progrès social pour tout le peuple chinois.
En outre, Datang est une ville industrielle bâtie sur une différenciation géographique. Erik Orsenna, dans Voyage aux pays du Coton, fait le constat d’une ville scindée en deux mondes foncièrement différents : une ville paisible et un bourg industrieux où sont produites en grande quantité des chaussettes (65% du marché chinois et 35% du marché mondial en 2004). Elle est l’exemple même d’une division des tâches au service de l’efficacité avec une flexibilité au sein de l’entreprise (embauche et licenciements aisés, les ouvriers n’ont pas de contrat de travail) et au marché puisque les nombreuses petites entreprises implantées sont capables de produire collectivement en masse un produit en très peu de temps.
Finalement, Datang est le reflet des débuts de l’industrialisation chinoise fondée sur une faible technologie et une main d’œuvre bon marché. Cela dit, la hausse des salaires en Chine mène cette industrie à sa disparition : Datang risque de se déplacer dans des pays où la main d’œuvre est moins chère, à l’exemple du Myanmar, considéré comme le nouvel eldorado depuis son ouverture aux capitaux internationaux.